Que l'artiste est marié et enchaîné à son art

Publié le par Julien Bonin

Un prêtre de ses amis lui [à Michel-Ange] dit : « C’est grand dommage que vous n’ayez pris femme, parce que vous auriez eu beaucoup d’enfants, et vous leur auriez laissé un grand renom. » Michel-Ange répondit : « Je ne suis que trop marié avec cet art qui ne me donne que des soucis, et mes enfants sont les œuvres que je laisserai. Si peu qu’on en parle, ce sera toujours cela. Que serait-il arrivé à Lorenzo di Bartoluccio Ghiberti, s’il n’avait pas fait les portes de San Giovanni [les portes du Baptistère de Florence] ? Ses fils et petit-fils ont gaspillé et vendu tout ce qu’il a laissé, tandis que les portes sont toujours en place. »

G. Vasari, Vies des artistes, 1550 (traduction L. Leclanché et C. Weiss, Grasset). 

 

 

1er janvier [1861]. — J’ai commencé cette année en poursuivant mon travail de l'église [Saint-Sulpice] comme à l’ordinaire ; je n’ai fait de visites que par cartes, qui ne me dérangent point, et j’ai été travailler toute la journée ; heureuse vie ! Compensation céleste de mon isolement prétendu ! Frères, pères, parents de tous les degrés, amis vivant ensemble se querellent et se détestent plus ou moins sans un mot que trompeur. La peinture me harcèle et me tourmente de mille manières à la vérité, comme la maîtresse la plus exigeante ; depuis quatre mois, je fuis dès le petit jour et je cours à ce travail enchanteur, comme aux pieds de la maîtresse la plus chérie ; ce qui me paraissait de loin facile à surmonter me présente d’horribles et incessantes difficultés. Mais d’où vient que ce combat éternel, au lieu de m’abattre, me relève ; au lieu de me décourager, me console et remplit mes moments, quand je l’ai quitté ? Heureuse compensation de ce que les belles années ont emporté avec elles ; noble emploi des instants de la vieillesse qui m’assiège déjà de mille côtés, mais qui me laisse pourtant encore la force de surmonter les douleurs du corps et les peines de l'âme !

E. Delacroix, Journal

 

Publié dans Textes

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