Nouvelle édition des quatre premiers tomes de La Vie d’Oru

Publié le par Julien Bonin

  Le Refuge du passé, Cachés, Communautés et solitudes et La Ruine et le tombeau sont désormais disponibles dans une édition revue et corrigée. Le 31 mai 2022, j’annonçai ici, sans faire preuve, croyais-je, d’un optimisme béat, que je consacrerai l’été à la relecture des trois premiers tomes, en vue d’une nouvelle publication vers la fin du mois de septembre. Comme il ne s’agissait pas de les relire entièrement, mais de faire un certain nombre de corrections particulières dont j’avais dressé la liste, il me semblait que deux bons mois y suffiraient. Eh bien, je me trompais lourdement et, quoique je me sois à peu près tenu à ce que j’avais projeté de faire, ces deux mois en ont duré sept ! Je dis à peu près, car il a fallu que certains changements, faits dans ces trois tomes, le soient aussi dans le quatrième ; c’est celui cependant où les corrections et les retouches sont les moins nombreuses.

Le premier changement qu’on remarquera ne concerne pas le contenu des livres, mais mon pseudonyme, dont j’ai supprimé le Jules : on ne lit donc plus que Jéromon sur leurs couvertures. De même, la nouvelle édition des trois premiers tomes comporte désormais, à la fin, la carte du Gokara, qu’on ne trouvait jusque-là que dans le dernier.

Le but principal que je m’étais fixé dans mes corrections était de faire disparaître du Refuge du passé et de Cachés, que j’avais commencé ou achevé d’écrire il y a plus de dix ans, des termes et des expressions que je ne m’autorisais plus depuis que j’avais commencé la rédaction de Communautés et solitudes, ou qui même étaient incorrects ou qui ne convenaient pas à la description d’un univers moyenâgeux (ainsi, il y avait, dans l’introduction du premier tome, l’expression « classes dirigeantes », tout à fait anachronique), et d’uniformiser l’aspect, mais aussi un peu le style entre ces deux premiers tomes et les deux suivants.

Pour ce qui regarde la forme, les tirets des dialogues et les retraits en début de paragraphe, par exemple, n’étaient pas les mêmes d’un livre à l’autre. Ils sont semblables désormais ; tâche qui ne m’a pas causé peu de peine, car il me faut bien du temps pour comprendre, ou même remarquer, certaines subtilités de mon traitement de texte. D’ailleurs je me suis aperçu à cette occasion que je n’avais pas pris soin jusque-là de mettre entre guillemets les monologues intérieurs des personnages dans les trois premiers tomes. Je les ai donc ajoutés, et presque toujours mis à la ligne, pour une meilleure lisibilité. J’ai renoncé aussi à disposer les longs poèmes sur deux colonnes par page, comme c’était jusqu’alors le cas ; cela pouvait être source de confusion pour le lecteur.

Ces changements, ainsi que les mots et les expressions que je recherchais en suivant ma liste, m’ont permis de trouver quelques fautes d’orthographe. J’ai même rencontré deux ou trois phrases dont j’avais oublié un morceau : à chaque fois, c’était, après une circonstancielle, la principale qui manquait.

La Vie d’Oru étant un très long roman, où les noms des lieux, des personnages et de certaines choses sont nombreux et assez différents de ceux de notre monde, j’avais résolu d’en simplifier quelques-uns. Les ayant tous passés en revue, j’en ai changé une cinquantaine : ils n’en sont pas forcément devenus moins étranges (à quelques exceptions près), étant entendu que leur étrangeté n’est que relative, ou, pour le dire autrement, qu’ils ne sont bizarres que par rapport aux sonorités de la langue française ou à celles qu’on entend le plus souvent chez les touristes étrangers qui viennent en France ; mais pour un Japonais, ou pour quelqu’un par exemple qui s’intéresse aux cultures maya et aztèque, ils le sembleront beaucoup moins. La plupart du temps, la simplification des noms s’est faite par le raccourcissement de ceux qui étaient trop longs ; pour ceux dont la prononciation s’avérait vraiment malaisée, j’ai transformé les syllabes ou les successions de lettres qui compliquaient trop la lecture. D’autres n’étaient pas difficiles à prononcer, mais me déplaisaient ou avaient quelque chose d’invraisemblable : ainsi l’Oligarchie des Dix devient l’Héléxyme. Pour les mers et les lacs, le souci que j’avais eu, au commencement, de ne pas multiplier les noms qui seraient difficiles à retenir m’avait fait choisir des adjectifs de couleur : mer Blanche, mer Verte, lac Blanc… Mais ce parti me paraît désormais un peu trop uniforme et, pour apporter un peu de variété, la mer Sombre est devenue la mer d’Orialle, le lac Blanc le lac Huozco.

Je ne compte pas exposer ici toutes les tâches que je m’étais données, faire connaître tout ce que contenait la liste que j’avais établie. Mais quelques exemples permettront de donner au lecteur une idée de ce qui a été accompli pour rendre le style plus convenable à mes intentions ou pour fluidifier la lecture. Ainsi, je me suis appliqué à vérifier si je n’usais pas de façon trop répétitive de quelques mots ou de quelques locutions, s’ils n’étaient pas, dans certains cas, d’inutiles chevilles. J’ai ainsi supprimé, dans tous les tomes, plusieurs « au reste », « du reste », « d’ailleurs », dont l’emploi n’était pas nécessaire. Je me suis attaché aussi à varier le vocabulaire : devinant que je me servais trop souvent, et presque uniquement, des mots haut et sommet pour parler de la partie la plus élevée des monts, collines, bâtiments, rochers, arbres, etc., j’en ai remplacé plusieurs par les mots faîte, crête ou cime. De même, étrange était trop employé au détriment de bizarre et de singulier ; visage, au détriment de physionomie et de figure. Les mots sorcier et sorcellerie évitent de répéter trop souvent magicien et magie ; déité a remplacé dans certains cas divinité ou dieu ; les états d’un souverain sont ses terres, son royaume, son pays ; « je fis réflexion que » a pu remplacer élégamment « je songeai que ».

Certains mots, pourvus jusqu’ici d’une majuscule, l’ont perdue : par exemple, dans le troisième tome, on lit désormais zemitopanquis (partisans de Zemitopan), kaharites (partisans du royaume de Kahar), de même qu’on écrit luthériens, platoniciens

Je n’ai pas manqué non plus d’aller consulter les classiques des 18ème et 19ème siècles pour voir comment et à quelle fréquence les grands auteurs usaient de tel terme ou de telle expression. J’ai ainsi pu voir que jeune garçon est rarement utilisé pour décrire les adolescents de quatorze, quinze ou seize ans (et encore moins pour ceux qui sont plus âgés) : Galland, Rollin, Voltaire, Madame de Genlis, Stendhal, Lamartine… parlent presque toujours de jeune homme. En revanche, à dix-sept, dix-huit ou vingt ans, on est beaucoup plus souvent une jeune fille qu’une jeune femme (il y a là d’ailleurs quelque chose de fort intéressant sur la mentalité de l’époque, bien différente de celle d’aujourd’hui à cet égard comme à tant d’autres). Quoi qu’il en soit, pour me conformer à cet usage (non parce qu’il serait plus conforme à mes opinions ou plus agréable à mon oreille, mais parce qu’il importe de donner à mon récit, du moins à son style, une sorte de patine ancienne qui le rende vraisemblable, et qui n’est nullement contradictoire avec la modernité des sentiments et des opinions), Ussuma est donc désormais qualifiée de jeune fille, et non plus de jeune femme. C’est la même raison qui m’a fait changer certains « à l’ouest de », « au nord de » par « à l’occident de », « au septentrion de », qu’on trouve assez régulièrement dans les anciens classiques.

Jusqu’à la fin du 19ème siècle au moins, on rencontre souvent les pronoms ainsi placés : « il ne se put empêcher », « il la voulut regarder » ; c’est un usage que je trouve très élégant et, l’ayant introduit dans Communautés et dans Ruine, j’ai aussi donné ce tour à un certain nombre de phrases des deux premiers tomes. De même, c’est pour se conformer à l’usage ancien que, dans La Vie d’Oru, le déjeuner est le repas du matin, le dîner, celui du midi, et le souper, celui du soir.

Il arrive que certains mots qu’on considère maintenant comme littéraires n’étaient guère utilisés jadis par les écrivains. Aujourd’hui on juge élégant de dire « à l’orée du bois » ; mais, au 19ème siècle et avant, on use rarement de ce terme, et l’on préfère être « sur la lisière » d’un bois ; de même, les frondaisons et les ramures des arbres ne sont pas préférées à leurs simples feuillages ; sylvestre n’est pas courant.

Des mots et locutions qu’on rencontrait çà et là dans les trois premiers tomes ont été supprimés, soit parce qu’ils étaient d’un usage impropre, soit parce qu’ils ne sont apparus qu’au 20ème siècle. Ainsi, on ne trouvera plus le mot prélat, qui, d’après les dictionnaires, n’est employé que pour les dignitaires de l’Église catholique, ni celui de contraintes quand je parle des contraintes naturelles ou de celles de la Forêt, ni l’expression « donner refuge », que j’employais parfois et qui n’est attestée ni dans le Littré ni dans le Robert (et il n’y en a aucun exemple dans le dictionnaire en ligne cnrtl.fr). La locution fréquemment employée depuis le siècle dernier, tant par les grands auteurs que dans le langage quotidien, « avoir (ou donner) l’impression que », n’existant pas chez les écrivains des temps antérieurs, je l’ai entièrement bannie des deux premiers tomes, où elle se trouvait encore en plusieurs endroits. Il n’est pas commode de se passer ainsi d’une locution qui m’est si familière ; mais cela a eu pour effet de m’obliger à réfléchir plus profondément aux sentiments ou aux pensées du personnage dont je parlais, afin de trouver quel verbe ou quelle autre expression j’allais utiliser à la place.

La recherche de ces mots et de ces locutions m’a fait trouver certains passages qui m’ont paru trop lourds ou trop maladroits pour être laissés tels quels, et que j’ai donc changés. Je suis persuadé qu’il en reste d’autres de cette sorte qui ne me sont pas tombés sous les yeux ; que des passages que j’ai relus et auxquels je n’ai pas touché pourraient néanmoins être améliorés, en les fluidifiant ou en les resserrant ; que des fautes d’orthographe qui ont échappé à ma vigilance sont toujours semées çà et là. Pour remédier à tout cela, il eût fallu préparer une édition entièrement revue et corrigée, ce que je m’étais résolu à ne pas entreprendre maintenant. Mais, si le destin me prête vie, je le ferai après que j’aurai achevé toute la série, dans une vingtaine d’années. D’ici là, je crois que cette nouvelle édition de 2023 est assez satisfaisante pour être présentée aux lecteurs qui s’y intéresseront.

Maintenant qu’elle est terminée, je peux enfin commencer à écrire le cinquième tome des aventures d’Oru, qui ne me demandera pas moins de trois ans de travail ; d’autant que j’ai décidé de travailler à deux autres ouvrages en même temps : le premier est la biographie d’Andreacini, qui, hélas ! n’a intéressé aucun éditeur jusqu’à ce jour, et que je vais recorriger entièrement, avant de la proposer de nouveau aux comités de lecture (s’il arrivait que je ne reçoive pas de réponse favorable, je la publierais par mes propres soins) ; le second est un nouveau roman, intimiste et contemporain. A l’un et à l’autre, je donnerai une journée par semaine, tandis que les cinq autres seront consacrées à mon cher Oru.

Nouvelle édition des quatre premiers tomes de La Vie d’Oru
Nouvelle édition des quatre premiers tomes de La Vie d’Oru

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