Le Conte du jouvenceau ailé ou les Aventures de Mienidihua (2)

Publié le par Julien Bonin

La suite des aventures de Mienidihua : 

Le sixième jour après qu'il eut quitté le royaume des Nuées, il jugea que personne jusqu'ici n'avait pénétré aussi avant que lui dans le Grand Océan et que jamais aucun homme ailé n'avait vu les parages qui s'étendaient pour lors sous ses yeux ; c'est pourquoi il se mit à voler moins vite et, examinant l'horizon avec une attention continuelle, il resta dès lors dans les nues, excepté quand il allait pêcher. Hélas, pendant les quatorze jours qui suivirent l'aventure de la baleine, Mienidihua n'aperçut aucune île, ni même aucun banc de récifs : la plaine liquide s'étendait, toute vide, à perte de vue ! La monotonie de ces journées lui pesait ; il s'était lassé de raser la surface des eaux et il ne trouvait pas d'autre moyen de se divertir. Le spectacle du Grand Océan, qui n'était jamais semblable à celui de la veille – il vit les flots tout blancs d'écume, et peints de quatre couleurs tranchées et distribuées comme par un peintre sur sa palette : à gauche, ils étaient d'un rouge ardent qui les faisait ressembler à de la lave ; à droite, leur couleur était d'un bleu d'outremer ; au loin, d'un violet mourant ; devant et derrière lui, leur vert était vif et foncé – ; il les vit resplendissants au soleil et ternes sous un ciel bas et sombre ; paisibles et parfaitement lisses, agités et tout sillonnés de rides ; noirâtres et troubles, puis vert clair et étrangement transparents ; hérissés de hautes vagues pyramidales et silencieuses – montagnes liquides et majestueuses – et, le lendemain, de lames courroucées qui déferlaient avec un grand fracas ; laiteux, et vermeils comme s'ils étaient teints de sang ; tapissés d'algues d'un jaune orangé et couverts de mouettes innombrables... – le spectacle changeant de l'immense plaine salée, donc, ne le distrayait qu'un moment. Quelquefois, il désespérait de jamais rencontrer une terre sous ce ciel cruel et se demandait s'il ne serait pas plus prudent de renoncer à son entreprise ; mais, se disant bientôt qu'il était impossible qu'un océan d'une si vaste étendue fût vide d'îles et qu'il ne baignât pas les côtes d'un autre continent, il poursuivait obstinément son voyage et, pareil à un capitaine qui veut absolument tenir sa route, il volait toujours vers l'ouest. Mais chaque jour, il regardait plus longtemps et avec plus d'émotion le morceau de nuage qu'il avait emporté et, étendu dans son gîte aérien et mobile, songeant à sa femme et à son fils, il ne pouvait retenir ses pleurs.

Mais enfin, le dix-huitième jour, peu après le sommet, il aperçut une île dans le lointain et, poussant un cri de joie, oubliant tout d'un coup les jours si longs et si ennuyeux qui avaient précédé, il s'y précipita avec une vitesse incroyable.

C'était l'île la plus étrange qu'il eût jamais vue. Elle n'avait guère que quinze à seize veninaris de largeur, mais elle était si longue qu'il n'en voyait point le bout, ni au nord ni au sud : son ruban vert et rocheux, qui était à fleur d'eau et qui s'étendait en ligne droite parmi les flots, se perdait à l'horizon et Mienidihua conjectura qu'il se trouvait à plusieurs journées de vol des deux extrémités de ce ruban désert. Cette île était ombragée, dans toute sa longueur, d'une rangée d'arbres d'espèces différentes, séparés les uns des autres par un espace d'environ huit veninaris et plantés à peu près à égale distance des deux rivages ; quelques-uns des arbres qu'il voyait ne portaient aucune feuille et n'étaient plus que des cadavres, d'autres étaient chargés de mille fleurs éclatantes qui parfumaient toute l'île Longue – c'est le premier nom que Mienidihua lui donna. Telle qu'une sentinelle se tient immobile dans sa guérite, les yeux fixes et l'air impassible ; telle la statue d'un dieu, érigée dans des temps reculés, se trouvait sous chacun des arbres de l'île. Hormis celle qu'il avait devant lui, laquelle était en bronze et en argent, toutes les statues que voyait Mienidihua étaient de marbre ou de bois. Qui avait sculpté ces figures, qui avait planté ces arbres ? Personne ne le sait.

Toutes les divinités avaient le visage tourné vers le Kuowao, comme si elles le voyaient malgré la distance des lieux ; Mienidihua supposait qu'il en avait été de même pour celles qui, au pied des cadavres effeuillés, étaient entièrement brisées ou qui, dépéries comme ces arbres, n'étaient plus que des masses informes et aveugles.

Il faisait beau et le Grand Océan roulait paisiblement ses flots, mais Mienidihua vit une grosse vague, du côté de l'est, s'élever soudainement et fondre, sur une longueur de deux soronaris environ, sur l'île aux Statues. Elle s'y brisa comme en gémissant et, pendant un moment, elle submergea les troncs des arbres et les figures des dieux, qui réapparurent ensuite, toutes ruisselantes d'eau. Les flots amers s'étaient déjà apaisés et, après avoir jeté un dernier regard sur l'île déserte, Mienidihua reprit sa route vers l'ouest.

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