Vauvenargues, Qu'il vaut mieux approfondir son art que de savoir un peu de tout

Publié le par Julien Bonin

Je n’approuve point la maxime qui veut qu’un honnête homme sache un peu de tout. C’est savoir presque toujours inutilement, et quelquefois pernicieusement, que de savoir superficiellement et sans principes. Il est vrai que la plupart des hommes ne sont guère capables de connaître profondément : mais il est vrai aussi que cette science superficielle qu’ils recherchent, ne sert qu’à contenter leur vanité. Elle nuit à ceux qui possèdent un vrai génie ; car elle les détourne nécessairement de leur objet principal, consume leur application dans les détails, et sur des objets étrangers à leurs besoins, et à leurs talents naturels. Et enfin elle ne sert point, comme ils s’en flattent, à prouver l’étendue de leur esprit. De tout temps on a vu des hommes qui savaient beaucoup avec un esprit très-médiocre ; et au contraire des esprits très-vastes qui savaient fort peu. Ni l’ignorance n’est défaut d’esprit, ni le savoir n’est preuve de génie.

Variante : Il n’y a aucun esprit qui soit capable de toutes les vérités et de tous les talents ; les bornes des plus beaux génies sont étroites, et, lorsqu’ils en veulent sortir, ils s’égarent, et montrent leur faible. Il n’y a aucune science qui ne soit, à elle seule, plus vaste que l’esprit humain ; il n’y en a donc aucune qui ne puisse occuper et absorber l’esprit le plus étendu. C’est à ceux qui sont incapables de rien approfondir qu’il appartient d’effleurer tous les objets ; mais, quand on se sent en état d’embrasser et de posséder parfaitement quelque science ou quelque art, c’est une vanité bien puérile d’abandonner son talent, pour donner à un esprit très-limité une grande et faible surface.

Vauvenargues, Réflexions et maximes

Publié dans Textes

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